Little Nightmares, jeu d’aventure et d’horreur indépendant marchant dans les pas de titres comme Limbo ou Inside, a sans nul doute secoué un pan de la sphère de l’épouvante vidéoludique lors de sa sortie en 2017. Certes, le bébé de Tarsier Studios n’est pas exempt de défauts – notamment en matière de gameplay -, mais son univers à la croisée de Tim Burton, Hayao Miyazaki et un conte pour enfants cauchemardesque n’a eu aucun mal à trouver un public satisfait. Un public qui en voulait davantage. Les prières entendues, le studio suédois rempile en 2021 avec un deuxième opus venant corriger les tares de son aîné et sublimer ses qualités. Aujourd’hui, nous avons affaire à une nouvelle production du genre nommé Bramble : The Mountain King. Le rapprochement avec Little Nightmares est évident, mais une interrogation demeure : pourquoi ce type de jeux d’horreur est-il aussi fascinant ?

Avant de plonger tête la première dans ce sujet que je trouve personnellement passionnant, il est bon de rappeler qu’il y a une belle palette de softs proposant de contrôler un avatar rikiki (en français soutenu, excusez du peu). L’exemple le plus parlant est sans doute It Takes Two, le dernier en date qui a fortement marqué les esprits, mais on peut aussi citer des noms comme Tinykin, Pikmin, Chipmonk! ou Katamari Damacy Reroll. Vous avez saisi l’idée, ils sont nombreux et des gens bien plus doués que moi en ont déjà parlé en long, en large et en travers. Des jeux d’horreur s’étant emparés d’un tel concept ? Moins nombreux. C’est la raison pour laquelle j’ai réfléchi à ce papier et aux possibilités merveilleusement horrifiques pouvant émerger de productions comme nos intéressés du jour.

Chérie, j’ai rétréci les gosses

Little Nightmares et Bramble ont un pitch plus ou moins similaire qui tient sur un bout de papier. Dans un cas comme dans l’autre, retenez simplement que vous incarnez un personnage tout petit, un enfant en l’occurrence, se retrouvant piégé dans un monde gigantesque fort hostile. Et survivre dans un environnement voulant constamment votre peau, ce n’est pas chose aisée, d’autant plus que la taille du protagoniste ne joue pas vraiment en sa faveur. Pour cause, les différents assaillants rencontrés font 30 fois la tête de nos bonhommes et ils sont animés par une seule envie, celle de les croquer sans assaisonnements. Sans surprises, un soft où le héros/l’héroïne de l’histoire sont en fait minuscules comparés à tout ce qui les entourent, y compris leurs ennemis, peut se prêter facilement au jeu de l’horreur. Les têtes pensantes derrière nos deux stars du moment le savaient lors du développement, mais ils ont aussi ajouté un ingrédient supplémentaire à leur recette qui a changé la donne : le mystère.

« La peur est la plus vieille et la plus forte émotion de l’humanité et le plus vieil et plus fort type de peur demeure la peur de l’inconnu. » (H.P. Lovecraft). Cette citation de l’un des maîtres incontestés de l’horreur n’est pas juste là pour faire joli ou vous donner l’impression que je dévore du Lovecraft au quotidien. En fait, cette belle tournure de phrase résume parfaitement la raison pour laquelle les univers de Little Nightmares et Bramble : The Mountain King fonctionnent aussi bien. Vous n’êtes pas simplement poursuivi par des humains, des animaux ou des insectes. Ce sont des menaces potentielles et bien réelles, mais pouvant difficilement désarçonner, car nous sommes habitués à les voir dans un jeu vidéo, un film ou une série. Dans Little Nightmares et Bramble, le joueur se retrouve nez à nez avec des créatures inconnues au bataillon. Comment se déplacent-elles ? Sont-elles rapide ? Que va-t-il m’arriver si elles m’attrapent ? Ont-elles des capacités spéciales ? C’est autant de questions traversant l’esprit d’une personne devant réagir rapidement face à un ennemi dont elle ne sait rien. Dans Little Nightmares, la fuite étant la seule option, d’autres préoccupations vont surgir : puis-je me cacher sous ce meuble sans craindre de me faire attraper ? Va-t-il fouiller sous ce lit ? Le comportement imprévisible des abominations présentes dans ces deux jeux combiné à un design monstrueux permet ainsi de distiller la paranoïa et l’angoisse pendant toute la durée de l’aventure.

Quant à Bramble, même s’il a beau jouer ses cartes d’une manière similaire à Little Nightmares, le titre de Dimfrost Studio ne tient pas à être une simple copie. En conséquence, de temps à autre, le soft va nous inviter à prendre part à des combats de boss pour le moins inattendus. Évidemment, ces fameuses séquences orientées « action » sont scriptées, c’est-à-dire qu’elles arrivent à des moments bien précis. En bref, on ne peut pas se défendre quand on veut, où on veut. C’est d’ailleurs tant mieux, puisque dans le cas contraire, ce genre d’expérience perdrait une partie de son caractère unique. Quoi qu’il en soit, si je viens de revenir brièvement sur le sentiment de peur éprouvé en arpentant les mondes de Little Nightmares et Bramble, je n’ai pas encore décrit ce qu’il en était dans les faits. Concrètement, la façon dont le gameplay transpose l’idée d’un personnage miniature évoluant dans des lieux qui le dépassent – dans tous les sens du terme -, à l’instar des créatures résidant sur place.

La taille, ça compte

Ces jeux mettent en lumière le contraste entre un protagoniste de petite taille, d’apparence innocent et les affres d’un univers qui lui est – à première vue – imperceptible et surtout cruel. Oui, comme le bébé dans Among the Sleep, mais en plus intelligent. Le but pour les développeurs est donc de nous faire ressentir le poids de cette opposition. Tel Alice au pays des merveilles, l’incompréhension sera de la partie. Comment reconnaître ses alliés dans un monde où notre notion de la normalité n’a plus lieu d’être ? Et vous l’aurez compris, la taille du personnage incarné sera un problème…de taille. Eh oui, les éléments qui vous entourent sont presque toujours à échelle d’adulte. C’est d’ailleurs là que le gameplay devient intrigant, puisque la moindre action, aussi banale soit-elle, devient vite fastidieuse, mais également dangereuse si vous êtes poursuivi.

Le simple fait d’ouvrir une porte ou de déplacer un objet demande maintenant un effort considérable. Dans Little Nightmares, vous allez devoir déplacer des chaises à la force de vos petits muscles, porter une grosse clé à bout de bras, escalader des étagères tel l’ascension de l’Everest. Dans Bramble, parcourir une forêt s’avère être une entreprise longue et risquée où le moindre faux pas mène à la mort. Ces jeux nous mettent véritablement à la place de nos avatars et, de ce fait, vont nous faire penser comme eux. Notre logique habituelle ne s’appliquant plus, il faut voir les choses différemment. L’usage de la vue à la troisième personne n’enlève rien à cette nouvelle façon d’agir qu’on se voit imposer. Le sentiment de peur est ainsi exacerbé, car on passe son temps à anticiper des situations éventuellement risquées où il faudra sortir des schémas établis pour espérer survivre. Les courses-poursuites de Little Nightmares en sont l’exemple le plus parlant. En effet, si on aperçoit une porte fermée lors d’une séquence de fuite, on saura pertinemment qu’il est impossible d’atteindre la poignée pour l’ouvrir. Du coup, la panique s’installe progressivement : puisqu’on ne peut pas utiliser la sortie la plus évidente, que faire ? Il faut réagir vite et bien regarder le décor. Cela donne lieu à une forme inédite de stress qu’on peut éprouver en jouant à un jeu d’horreur.

Ceci étant dit, le fait d’incarner un protagoniste rétrécit au lavage présente aussi ses avantages. Une fois encore, il s’agit d’être observateur et d’exploiter efficacement sa taille. Chaque recoin hors d’atteinte d’une grande personne devient un refuge pour le personnage principal. Dans un jeu d’horreur classique, être poursuivi par un ennemi et rencontrer un cul-de-sac provoque la panique. Ici, ça n’a plus d’importance, car il faut simplement chercher un endroit à l’abri du regard de la menace : à l’intérieur d’un carton, sous un meuble ou derrière un objet. On doit à nouveau réfléchir au gameplay d’une façon inédite qui se montre capable de dérouter les férus d’horreur habitué aux séquences classiques de fuite et de cache-cache. Mais les développeurs ne sont pas dupes et au fil des jeux, ils apprennent à se renouveler pour mieux nous piéger.

Little Nightmares 2 reprend les bases de son aîné, mais met à mal des repères assimilés par le joueur dans le premier opus. Certains niveaux ôtent le salut apporté par le dessous des lits, d’autres introduisent des monstres détruisant purement et simplement les potentielles cachettes à notre disposition. Cette suite rebat les cartes sans le faire savoir au joueur, lui faisant croire qu’il peut continuer à utiliser les mêmes méthodes pour assurer sa sécurité. Un tour de force brillant de la part de Tarsier Studios contribuant à embellir une proposition rafraîchissante qui n’a pas fini de nous dévoiler ses secrets.

Oh, une enseignante, qu’est-ce qui peut bien mal se passer ?

Le gameplay et l’univers étant passés en revue, va-t-on s’arrêter là et estimer avoir fait le tour des spécificités de ce type de jeux ? Bien sûr que non, et ce serait une erreur puisque je laisserai de côté un élément des plus fascinants de cette formule atypique, j’ai nommé la caméra.

Caméra restrictive ou inventive ?

Habituellement, comment est placé la caméra dans un jeu d’horreur ou, d’une manière générale, un jeu comportant une multitude de facteurs s’apparentant à l’épouvante ? À l’ancienne, c’est-à-dire dans les années 90-début 2000, la vue à la troisième personne était privilégiée. Il y avait grossièrement deux écoles : les angles de vue fixes et la caméra suivant l’avatar dans son dos. Milieu 2000, les choses changent et aujourd’hui encore, la vue subjective domine le marché horrifique. Toutefois, des exceptions subsistent. C’était déjà le cas en 1995 avec Clock Tower et sa vue de côté combinée à son gameplay Point & Click. Aujourd’hui, cela passe plutôt par des productions comme Darkwood ou, vous l’avez vu venir, Little Nightmares.

Je vais pour l’instant braquer les projecteurs sur l’enfant chéri de Tarsier Studios et revenir plus tard sur le cas fort intéressant de Bramble. Little Nightmares se sert d’une caméra en vue de côté, de profil, à l’instar de Limbo (2010), Deadlight (2012) ou INSIDE (2016). Il est en quelque sorte l’héritier de cette utilisation singulière de la caméra dans l’horreur ayant permis l’émergence de nouvelles idées de mise en scène. Hormis Limbo, on retrouve dans ces titres la notion de profondeur. Ce ne sont pas des jeux en 2D, mais en 3D, la particularité étant qu’on ne peut pas se déplacer librement dans le décor, on peut seulement aller à gauche, à droite, en haut et en bas. Little Nightmares premier du nom procède différemment et nous permet de se mouvoir en profondeur. Si cela fait apparaître des opportunités supplémentaires en termes d’exploration et de cachettes, c’est pour le moins sous-exploité et, de ce fait, assez anecdotique. Le 2 « rectifie le tir » et s’amuse davantage avec la caméra. Celle-ci nous prend au dépourvu et embrasse totalement le concept de narration environnementale. Il y a une vraie importance dans le fait de se déplacer dans l’arrière-plan. Cela étant, j’ai personnellement trouvé qu’il y avait toujours la possibilité de peaufiner l’usage de la caméra. À mes yeux, cette dernière se montre encore trop restrictive. C’est alors qu’intervient Bramble : The Mountain King.

De prime abord, Bramble nous rappelle trait pour trait Little Nightmares. La seule différence semble résider dans l’univers qui ici nous invite à découvrir le folklore scandinave sous toute sa monstruosité. Néanmoins, bien que Bramble partage des mécaniques très similaires avec ce jeu, sa façon de manier la caméra n’a rien à voir avec lui. Pour résumer, c’est un festin d’angles de vues variés (fixe, travelling, plongée, profil) tous plus efficaces les uns que les autres. Bramble va même jusqu’à exploiter le focus de la caméra pour mettre en lumière certains éléments bien précis ou les dissimuler pour garder un semblant de surprise. On le constatait déjà avec la démo du soft lors du face-à-face avec le monstre de la mare. Lorsqu’il apparaît pour la première fois, il est quasiment impossible de discerner son visage ou les caractéristiques de son corps, car non seulement, il se situe au second plan, mais il est flouté. Le focus s’attarde sur notre personnage, mais ce qui attire notre regard se trouve ailleurs. La créature s’empresse de plonger dans l’eau, et l’inquiétude persiste. Pourquoi ? Parce qu’aucune information n’a pu être prise sur l’ennemi. Le joueur a seulement pu distinguer sa forme. Si on ajoute à cela la tension constante ressentie dû à la hauteur du protagoniste, on a le cocktail parfait pour une séquence de jeu haletante.

La première rencontre avec le Näcken et la fameuse utilisation du flou

Quel bilan pouvons-nous faire de cette petite analyse de votre humble serviteur ? Little Nightmares et Bramble : The Mountain King joue sur la corde d’un concept relativement nouveau, du moins dans le monde de l’horreur vidéoludique. À chaque nouvelle production de ce style, la formule s’affine, les idées inspirées pullulent et on se sent dépaysé. Notre perception de l’environnement change. Un changement qui s’accompagne d’une réflexion différente vis-à-vis du gameplay. On perd nos repères habituels à cause de notre taille et cela amène une modification des mécaniques de jeu. C’est en quelque sorte un saut dans l’inconnu et on se retrouve finalement fasciné par ces expériences.

Mais ce vent d’air frais est-il voué à disparaître aussi vite qu’il s’est fait sentir ? Pour le moment, ce type de jeux reste rare. J’ai susmentionné des exemples comme Limbo, INSIDE, Deadlight ou Among the Sleep, mais la liste ne s’allonge pas spécialement outre mesure. Cela me laisse donc penser qu’il y a encore bien des choses à raconter à travers ce genre particulier, celui de l’horreur miniaturisée.

5 réponses à « Little Nightmares, Bramble : The Mountain King – L’horreur miniaturisée »

  1. Hello! Je désespérais un peu de trouver quelqu’un qui fait des analogies ou analyses à l’écrit, comme moi, mais je n’ai pas été déçue. C’est du très bon boulot en particulier sur le plan technique. Je suis une fan inconditionnelle des Little Nightmares. J’ai déjà acquis Among the sleep et Bramble, et maintenant, il me tarde d’y jouer. Au plaisir de te relire !

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    1. Avatar de Scriltarl / KillerQuent
      Scriltarl / KillerQuent

      Bonjour ! Je te remercie, ça me motive à continuer à écrire sur différents sujets ! Je voulais depuis longtemps écrire sur Little Nightmares, mais c’est vraiment la sortie de Bramble qui m’a donné la motivation de m’y mettre. C’était un bon moyen de traiter d’une façon assez globale ce type de jeux très particulier et si mon analyse t’a plu, ça me rassure énormément (le problème parfois de ne pas avoir de retour, c’est d’avoir potentiellement mal analysé le fond et j’avais peur de ça).

      En tout cas, tu vas bien t’amuser sur Bramble je te le garantis ! D’ailleurs, si tu es intéressée, j’ai fait deux autres analyses de fond sur mon blog, une sur Signalis et une sur Frictional Games ! J’essaye de développer une certaine régularité maintenant, donc en avant pour le prochain !

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      1. Je pense que la régularité est importante oui. Mais il ne faut pas se mentir, les gens lisent de moins et moins et font de moins en moins de retours. De mon côté, j’avais fait un dossier sur Little Nightmares si tu en as un jour le temps et la motivation. J’irai jeter un œil sur ton blog et ton twitter. À très bientôt !

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      2. Avatar de Scriltarl / KillerQuent
        Scriltarl / KillerQuent

        Bien sûr, et c’est dur par moments, mais ce genre d’interactions me donne de l’espoir haha ! Je suis curieux de lire ça du coup, je check dans la journée !

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