Alerte au spoiler

Au cours de ce papier, je vais revenir sur l’histoire de Road 96, mais également sur sa conclusion, sans quoi j’aurai des difficultés à aborder le sujet traité ici. Vous voilà prévenu, c’est parti !

Ahh, les jeux vidéo nous proposant un système de choix. Cette douce promesse d’avoir le contrôle presque total de son expérience vidéoludique, d’en décider les tenants et aboutissants. Parfois, c’est plutôt direct et ça ne constitue en rien le cœur du gameplay, à l’image de BioShock où de temps en temps, on va venir vous soumettre la même alternative pour le moins radicale : tuer ou épargner. Mais d’autres softs préfèrent travailler plus en profondeur cette question du choix laissé entre les mains du joueur. C’est le cas de Road 96, un jeu d’aventure narratif sorti en 2021.

Seulement voilà, au fil des années, des critiques se sont fait entendre vis-à-vis de ce concept qu’on peut résumer en : Ce Jeu Dont Vous Êtes le Héros. Pour cause, il ne fait pas toujours l’unanimité. La faute à des titres comme ceux de Telltale Games et leur tristement célèbre « cette décision aura des conséquences » ou « Jean-Jacques trucbidule se souviendra de ça ». Bien souvent, ce n’est que de la poudre aux yeux et vous pouvez agir comme bon vous semble sans craindre la moindre représaille pour votre personnage. Il peut y avoir des conséquences, mais elles sont pour la plupart légères et elles vous concernent rarement. On finit donc par se retrouver avec une narration linéaire, alors qu’on nous garantit l’inverse. Difficile de ne pas se sentir trompé.

Depuis, un certain nombre de productions se sont prêtées au jeu et pour une partie d’entre elles, le succès a été au rendez-vous. Prenons Until Dawn, un survival-horror développé par Supermassive Games, aujourd’hui connu pour son anthologie The Dark Pictures. Le public fut conquis par ses choix conduisant à de vraies répercussions sur le reste du récit. En outre, on remarque que la fin du jeu a particulièrement marqué les esprits. Après tout, c’est l’aboutissement de toutes les décisions prises par les joueurs et joueuses ainsi qu’un moyen de faire le récapitulatif de leurs bourdes et réussites.

Mais qu’en est-il de Road 96 ? Le bébé du studio français DigixArt est un jeu remarquable qui fut accueilli à bras ouverts par la critique et la communauté. Il a d’ailleurs obtenu un total de cinq récompenses lors des Pégases 2022. Fort de son succès, le soft s’est même offert le 4 avril 2023 une préquelle baptisée Mile 0. Néanmoins, sa narration basée sur les choix faits par le joueur a soulevé quelques interrogations. C’est en discutant avec des amis ayant fait Road 96 que je m’en suis rendu compte, puisqu’ils parlaient d’un manque de variété au niveau des fins du jeu comparé au nombre immense de décisions prisent au cours de l’épopée. Pour résumer, les choix donnent l’impression de faire une grande différence sur le long terme, alors que ce n’est pas spécialement le cas. Sans rentrer dans les détails, il est vrai que la majorité de vos actions ne changent pas grand-chose au baisser de rideau de Road 96 se déclinant en trois fins. Pourtant, je n’ai pas trouvé que cela avait une quelconque importance. Selon moi, la beauté du titre se situe dans son déroulé. Et puis, vous connaissez l’adage : c’qui compte c’est pas l’arrivée, c’est la quête (arrêtez de chanter).

Au début du jeu, j’étais pressé de voir la fin

Laissez-moi vous conter l’histoire de Road 96. Nous sommes en 1996 en plein cœur d’une nation fictive nommée Petria. Celle-ci est gouvernée d’une main de fer par une dictature qui a fermé ses portes au reste du monde. Personne n’entre, personne ne sort avec pour seules exceptions les soldats et les camions transportant des marchandises. C’est dans ce contexte qu’on nous explique qu’il y a une vague d’adolescents en fuite, tandis qu’une révolution semble se préparer dans l’ombre. Le climat est donc tendu, d’autant plus que les élections approchent et le pouvoir en place ne compte pas laisser sa place à une vilaine démocratie.

Quant au joueur, il va se voir charger de la survie d’une série d’agneaux perdus qui vont tenter de s’échapper de Petria. À chaque fois, le but sera d’amener son avatar à la frontière du pays et de trouver le moyen de prendre ses jambes à son cou. Que votre mission soit une réussite ou un échec, le soft vous demande de réitérer l’opération avec un autre jeunot et ainsi de suite jusqu’au grand final dont la date fatidique vous est répétée sans cesse au cours de vos péripéties. Au début d’une journée, trois profils vous sont proposés et il faut désigner l’heureux élu à incarner. On a déjà un choix cornélien, puisque si certains commencent avec beaucoup d’argent, c’est au détriment de leurs barres d’énergies, capitales pour avancer. Bref, la sélection doit se faire de façon méthodique. En effet, le voyage ne va pas être de tout repos et arriver à bon port n’est pas une garantie.

L’avancée jusqu’à la frontière se fait étape par étape de la manière suivante : le joueur arrive dans un lieu où il va faire des rencontres pouvant le conduire à de nombreuses opportunités. Dès qu’il n’y a plus rien à faire dans une zone, le jeu vous invite à passer à la suivante via divers moyens de transport (bus, covoiturage, voiture volée, taxi) ou à pied. À noter que ces différentes options ne vous emmèneront pas toutes à la même destination. De plus, l’endurance étant un facteur primordial à prendre en compte, vous allez souvent devoir opter pour la vidange du porte-monnaie. Sinon, aller à pied d’un point A à un point B coûte moult barres d’énergie et lorsque vous n’en avez plus, c’est game over.

C’est donc ainsi que se dessine l’avancée dans l’aventure offerte par Road 96. Toutefois, ça ne représente pas le caractère principal du gameplay, qui va se situer du côté des choix qui vont venir rythmer la progression. Effectivement, peu importe le personnage avec qui vous allez tailler le bout de gras, vous allez devoir choisir quoi dire et surtout quoi faire.

Mon choix n’a pas eu de conséquences, j’ai perdu foi en l’univers

Les nombreux dialogues avec le casting de Road 96 peuvent mener à pléthore d’issues plus ou moins majeures. Parfois, une discussion conduira simplement à renflouer ses caisses ou à obtenir de la nourriture pour continuer sa route sans périr. Dans d’autres cas, il peut y avoir des conséquences graves, comme la mort du personnage incarné. D’une manière générale, on trouve deux types de choix commun à tous nos avatars : les élections approchant à grands pas, va-t-on supporter la dictature en place ou un éventuel symbole de liberté et de démocratie ? Un coup d’état violent et sanglant est-il la seule solution pour renverser le pouvoir ou peut-on tenter de limiter les dommages ? Pour se positionner par rapport à ces dilemmes, il est possible de produire ses meilleures caricatures sur des affiches de campagne ou exprimer son point de vue à qui veut bien l’entendre. L’impact de ces décisions demeure notamment dans le fait qu’à chaque nouvelle partie, un graphique nous est présenté montrant quel parti prend le pas sur l’autre. Enfin, je parle d’impact, mais il faut nuancer.

Ces fameux choix décrits ci-dessus sont cruciaux pour une seule raison. Ils permettent de déterminer à quelle fin aura affaire le joueur s’il décide, lors de la conclusion, de rester pour se battre aux côtés du peuple. Dans le cas contraire, ces choix n’affectent pas la troisième fin, celle où on prend la poudre d’escampette. En vérité, la différence entre les deux fins où vous allez rejoindre la révolte lors du dernier assaut est assez maigre. De plus, si ces dernières ont des représailles potentiellement terribles sur certains personnages que vous avez rencontrés, une poignée voit son histoire se conclure avant cela. Mais alors, une question vient en tête : à quoi bon nous soumettre cet éventail de choix tout au long de Road 96 ? Dans l’ensemble, ils ne vont pas influencer le grand final, sauf si le jeu l’indique clairement. Toutefois, ce serait oublier deux aspects capitaux du soft, à savoir la place des avatars qu’on va incarner et le concept de génération procédurale.

Je l’ai déjà expliqué, dans Road 96, l’une des missions principales du joueur est de réussir à fuir la nation Petria avec son personnage. Qu’il y parvienne ou non, il doit ensuite rejouer un autre ado rebelle en cavale partageant le même objectif que son prédécesseur. Le processus se répète ainsi jusqu’à l’acte final. On a déjà là un élément de réflexion intéressant. Le sort de Petria ne concerne pas la quasi-totalité des adolescents qu’on va contrôler, mais plutôt les autres protagonistes de l’histoire. Non, ce qui nous fait avancer, du moins au départ, c’est notre survie. Nous ne pensons pas à la survie à l’échelle globale, à celle du pays, mais bien à l’échelle de l’individu. En ce sens, les choix peuvent avoir une vraie importance. On préférera par exemple, face à un danger potentiel d’inanition, voler de la nourriture à cause d’un manque d’argent. Ce sont des choix dont l’impact est alors non négligeable.

Cette pensée « individualiste » va accompagner le parcours du joueur et peut laisser place à une envie de s’attaquer au problème à sa source. Sur le papier évidemment, puisqu’on peut aussi bien n’en avoir que faire des problèmes de Petria. Dans ce cas de figure, ce n’est pas la fin du jeu qui sera le centre des préoccupations, mais nos protégés en plein exode vers la frontière. C’est un choix implicite et subtil jouant avec nos émotions, car on est constamment mis face aux difficultés écrasantes d’un pays en proie à un régime totalitaire. Préfère-t-on fermer les yeux et sauver simplement notre peau ou tenter d’œuvrer, en parallèle, pour le bien commun, ce qui implique de prendre plus de risques ? À vous d’en décider.

Pour vous aider à prendre votre décision, sept figures majeures vous attendent via des rencontres générées aléatoirement. C’est la fameuse génération procédurale qui rend chaque nouveau road trip à travers Petria unique. Dès que l’une d’elles vous adresse la parole, vous avez des choix de réponses mises à votre disposition. Plus haut, je suis revenu rapidement sur les conséquences pouvant découler de ces dialogues. Néanmoins, dans les faits, rares sont les fois où votre réponse conduit à un drame terrible sans précédent (tant mieux, car j’ai le chic pour prendre les pires décisions). Par contre, vous allez apprendre à connaître ces personnages, leur façon de penser, d’agir, et ce, dans le but de faire avancer leur histoire. Une jauge propre à chacun d’entre eux se remplit progressivement à mesure que vous les recroisez avec d’autres avatars et lorsqu’elle atteint 100%, vous avez fait le tour du récit du protagoniste concerné. Selon moi, nous avons là l’essence même de l’expérience Road 96. Une expérience dont la beauté réside dans le voyage qu’on partage aux côtés de visages qui deviendront vite familiers.

Le vrai trésor, ce sont les amis qu’on s’est faits en chemin

Dans Road 96, on traverse une contrée désertique en découvrant des personnalités toutes plus variées les unes que les autres. L’envie d’en apprendre plus sur elles est née en moi. Dès que j’avais fini de conduire l’un des mes personnages hors des confins de Petria, je n’attendais qu’une chose : l’opportunité de recroiser la route de Stan & Mitch si je voulais de l’action, celle de Zoe pour en apprendre plus sur le pays et ce qui se cache dans l’ombre, celle de Sonya pour connaître la définition du mot agacement, ou celle de Jarod pour avoir ma dose de frisson. J’étais fasciné par le voyage et non la destination.

Vous l’aurez compris, je ne trouve pas que la présence des choix dans Road 96 est dénuée de sens. Je ne mets pas le jeu dans la même case qu’un Telltale où l’illusion des conséquences m’avait rebuté au plus haut point. À mes yeux, les décisions prises durant les dialogues avec les personnages du titre de DigixArt permettent de sublimer leur écriture. On peut facilement passer à côté de leur histoire ou d’une anecdote intrigante si on ne choisit pas la bonne option. Autrement dit, être passif peut jouer en notre défaveur, il faut s’impliquer dans les choix qu’on fait et bien peser le pour et le contre.

Certes, la fin de l’aventure a le potentiel d’en refroidir plus d’un, en particulier au vu de ce qui a été accompli avant d’en arriver là. Un total de trois fins, dont deux presque similaires, ne va pas forcément plaire. Mais ce serait oublier le fait que Road 96 joue sur plusieurs tableaux. Et l’acte final ne m’apparaît pas comme la priorité. D’ailleurs, je n’avais même pas encore fait le tour de toutes les rencontres possibles lorsque les crédits se sont lancés. Il y a donc une notion de rejouabilité, preuve supplémentaire que la conclusion n’a pas une importance aussi grande que prévu.

Au risque de me répéter une énième fois, dans Road 96, l’important, ce n’est pas la destination, c’est le voyage. Que nos choix aient un impact conséquent ou non, cela importe peu. En fait, ils permettent de nous faire apprécier davantage les conversations avec le casting fort appréciable. Quant à l’aspect aléatoire de la progression, il ne fait que renforcer le plaisir d’embarquer dans ce road trip où chaque rencontre se savoure comme un bon vin. Je vous laisse sur ces derniers mots avec The Road, un morceau de Cocoon qui véhicule avec une certaine justesse le sentiment qu’on peut ressentir en parcourant les routes de ce jeu.

Sources :

Une réponse à « Road 96 : l’important, ce n’est pas la destination, c’est le voyage »

  1. […] souffre principalement de sa structure. Observez bien le nom du jeu. Si on pense, par exemple, à Road 96, on comprend immédiatement ce qui nous attend : un road trip. Ce n’est pas un secret, et c’est […]

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