2022 fut une année riche en belles productions vidéoludiques ayant su conquérir le cœur des joueurs et joueuses. Elden Ring, Neon White, God of War : Ragnarök, Tunic, Stray, Grounded, Return to Monkey Island, enfin bref, il y a eu de quoi faire. Mais qu’en est-il des férus de survival-horror ? Ont-ils trouvé leur compte ? Entre The Mortuary Assistant, Scorn, Stay Out of the House ou le DLC de Resident Evil Village, la réponse est définitivement oui.

Et dans ce beau petit lot sorti en 2022, on observe une pépite rare nommée SIGNALIS. Cette dernière a indéniablement marqué la sphère de l’horreur pour diverses raisons. Entre autres, on peut dire que le soft de rose-engine est un bel hommage aux anciens Resident Evil et Silent Hill. D’ailleurs, il n’est pas le seul. De nombreux jeux d’épouvantes se sont pris au jeu du salut aux années 90-début 2000. Toutefois, ce type d’œuvre connaît des limites qui se dessinent plus clairement à chaque fois qu’une nouvelle production du genre naît (et croyez-moi, elles sont légion). De la sorte, si je parle de SIGNALIS, c’est bien parce qu’il est, selon moi, un exemple parfait des problèmes récurrents qu’on rencontre avec ces titres faisant honneur à la vieille époque aka le bon vieux temps. Et pourtant, il est également l’exemple parfait des solutions pour remédier à une sensation de déjà-vu qui me gagne progressivement.

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Avant d’attaquer le sujet, il me paraît judicieux de préciser que nous allons uniquement parler des inspirations de SIGNALIS en matière de gameplay. Si je mets un point d’honneur à le mentionner, c’est parce que le jeu fait également des références à des œuvres qui ont pu l’inspirer sur le plan esthétique ou narratif. Je pense notamment à Neon Genesis Evangelion ou le travail de H.P. Lovecraft.

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C’est dans les vieux pots qu’on fait les meilleures confitures

Mettons les choses au clair : SIGNALIS est un excellent jeu (évidemment, ce n’est que mon humble avis, mais je vous assure, c’est top). Ce papier n’a pas pour but de blâmer notre intéressé, mais plutôt de pointer du doigt les barrières rencontrées par le modèle, certes éprouvé, dont il fait usage. Et donc, quel est ce fameux modèle ? Avant d’en parler, une piqûre de rappel s’impose. Contrairement à pléthore de softs qu’on voit passer sur Steam, l’hommage aux jeux d’horreur d’antan ne se traduit pas uniquement par des graphismes hérités de la PS1/PS2. Il va avant tout se faire sentir à travers le gameplay, mais là encore, il y a des divergences.

Pour cause, en fonction du titre envers lequel les développeurs veulent exprimer leur amour, les mécaniques vont être foncièrement différentes. Prenez DreadOut (2014) et Tormented Souls (2021). Nous avons là deux jeux d’horreur rendant hommage à des franchises horrifiques cultes : l’un à Project Zero, l’autre aux anciens Resident Evil. Néanmoins, en termes de gameplay, ces licences n’ont quasiment rien à voir entre elles. Eh oui, tout le monde ne reprenait pas forcément les codes mis en place en 1992 par Alone in the Dark ou en 1996 par le bébé de Shinji Mikami. Ainsi, à l’instar de leurs prédécesseurs, les survival-horror dits « hommages » (utilisons ce terme pour faciliter la lecture) ne proposent pas sans arrêt la même expérience de jeu.

Resident Evil 2 (1998)

Mais je n’en viens toujours pas au fait, c’est-à-dire le gameplay offert par ces jeux d’horreur surfant sur la vague de la nostalgie. En vérité, nous allons surtout traiter d’un modèle réutilisé à outrance, celui des premiers Resident Evil et Silent Hill. En effet – et c’est un constat pouvant être regrettable -, des exemples comme DreadOut, ça ne court pas les rues. On a plus tendance à voir émerger des héritiers de Resident Evil que de Forbidden Siren ou Project Zero. Les raisons derrière ce choix sont plus complexes qu’il n’y paraît et elles mériteraient un article dédié. Pour en revenir aux franchises de Capcom et Konami, celles-ci proposent au joueur la panoplie du soldat en manque de ressources. L’inventaire est restreint, à l’instar des munitions ou objets de soins dont on dispose, et pour couronner le tout, les sauvegardes ne sont pas automatiques. Biohazard (comme on dit au Japon) poussait même le bouchon plus loin en limitant le nombre de fois où le joueur pouvait sauvegarder la partie. Pour ce faire, il disséminait un peu partout des rubans encreurs, les seuls objets permettant de conserver sa progression. Autant dire qu’il valait mieux se montrer curieux et économe.

Si ce dernier aspect reste propre à La Résidence du Mal (comme on dit en bon français), il n’en aura pas moins inspiré d’autres à se prêter au jeu. Mais les caractéristiques des modèles Resident Evil / Silent Hill ne s’arrêtent pas là. En effet, ces titres nous propulsent dans des lieux labyrinthiques qu’il faut connaître sur le bout des doigts. La plupart des portes sont fermées, moult objets sont cachés çà et là et le but est de s’y retrouver dans ce méli-mélo. Bien sûr, des hordes de créatures en tout genre attendent déjà sur place et se font un plaisir d’entraver vos recherches et n’ayant que peu de munitions à portée de main, il devient difficile de se frayer un chemin. Pour ne rien arranger, il est difficile de circuler puisque les bâtiments visités ont été imaginés par des architectes avides d’espaces étroits. Je viens donc de décrire, quelque peu grossièrement, le cœur du gameplay des anciens Resident Evil et Silent Hill. En tout cas, j’ai énuméré les éléments qui sont aujourd’hui repris par une armée de développeurs prêts à nous faire replonger dans le passé.

Des exemples de jeux d’horreur récents reprenant ces mécaniques et/ou affichant un visuel PS1/PS2, il y en a un beau paquet. Nous avons susmentionné Tormented Souls, mais on a également Daymare : 1998 (qui s’inscrit davantage dans la logique des remakes), Alisa, Murder House ou Nightmare of Decay. Chacun d’entre eux tente, selon ses préférences, d’utiliser ces vieux outils dans le but de forger des jeux à l’allure rétro. Parfois, ils essaient même de récupérer les tares de l’époque, comme la maniabilité du personnage lourde à souhait (on te regarde, Alone in the Dark). Indépendamment de savoir si nous avons affaire à des créations réussites ou non, il est intéressant de noter leur appétence pour cette façon particulière de distiller l’horreur, au détriment des méthodes plus modernes à la Amnesia ou Outlast. Et la star de cet article alors ? Comme vous pouvez vous en douter, SIGNALIS s’inspire aussi de Resident Evil et, dans une autre mesure, Silent Hill. Explorons plus en profondeur sa manière de procéder.

Tormented Souls (2021), l’un des nombreux héritiers de Resident Evil

Le signal de la fin

L’intérêt de cet article est d’analyser le gameplay de SIGNALIS. Il ne s’agit pas de se pencher sur son histoire plongeant le joueur dans un univers de science-fiction onirique, ô combien sinistre et saupoudré d’une grosse pincée de mélancolie. Pour résumer, son scénario et sa mise en scène sont capables de justifier à eux seuls l’achat du jeu. Le postulat de départ est le suivant : vous incarnez Elster, une technicienne Replika évoluant dans un monde futuriste dystopique. La jeune femme, qui se trouve sur une planète isolée du système solaire, investit une bâtisse du gouvernement où des événements dramatiques se sont visiblement déroulés. Elle y cherche quelqu’un, mais peine à se souvenir de la raison de sa présence, de pourquoi elle tente de retrouver cette personne. Le voyage cauchemardesque au cœur de la mystérieuse installation s’engage alors et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il n’est pas de tout repos (surtout si on joue en Difficile). La peur sera de la partie, aux côtés de la tristesse et de l’incompréhension face à une terrible réalité qui dépasse Elster, mais aussi le joueur.

Voyage au bout du rêve

Puisque nous sommes face à un jeu puisant amplement dans la méthode Resident Evil, la progression ne se fait pas en ligne droite. Il ne s’agit pas ici de suivre un seul et unique chemin et de dézinguer les monstres – lents – se trouvant sur le passage. Le bâtiment visité dans SIGNALIS est découpé en plusieurs étages, comprenez par là plusieurs niveaux. À chaque nouvelle étape, on se sent perdu, désorienté. Effectivement, il y a des couloirs étriqués partout et tous contiennent bien trop de portes pour notre pauvre cerveau, d’autant plus qu’on ne sait pas lesquelles sont fermées ou ouvertes. Certaines peuvent être déverrouillées avec un objet spécial (une clé, une carte d’accès), tandis que d’autres s’avèrent condamnées. En outre, on a parfois affaire à des puzzles plus ou moins corsés qui détiennent la clé pour avancer. Comme expliqué plus haut, cette approche du level design, obligeant le joueur à faire beaucoup d’aller-retour et à bien réfléchir à la topographie des lieux, n’est pas sans rappeler la franchise de Capcom. Pour peu qu’un néophyte s’y frotte, il doit se préparer à sortir une boite de Doliprane.

En effet, celles et ceux n’étant pas habitués à la méthode Alone in the Dark / Resident Evil vont probablement être déstabilisés par cet aspect du jeu et il ne sera pas le seul à provoquer la surprise. La carte peut être compliquée à lire, l’inventaire est grandement limité, à l’image des ressources disposés çà et là tout au long de l’aventure, et les mouvements du personnage sont loin d’être fluides. En bref, les novices vont en avoir pour leur dose de challenge. Cependant, le hic ne se situe pas du côté de l’expérience vécue par les nouveaux venus, mais plutôt de celui des chevronnés du genre.

De fait, toutes ces contraintes spéciales imposées par SIGNALIS qui trouvent leur source dans les vieux jeux d’horreur commencent, pour moi, à montrer des failles. Cela fait maintenant plusieurs années qu’une bonne partie de la scène indépendante spécialisée dans l’épouvante se plaît à honorer ses ancêtres. On le voit principalement via les mécaniques de jeu, mais une telle façon de faire finit par avoir ses limites du côté des habitués. Il va de soi que ces lignes se basent sur ma propre expérience, mon point de vue, mais à force d’en discuter avec des amis friands de survival-horror depuis bien des lunes, j’ai remarqué une sorte de lassitude quand nous venions à converser sur ces titres « hommages ». Non pas à cause des récits contés, mais bien vis-à-vis de la façon de jouer. Ces derniers font usage d’un gameplay accompli, mais qui n’arrive plus à surprendre ou à investir pleinement le joueur dans ses différentes strates. La faute à des mécanismes vus et revus dont l’efficacité se serait sérieusement affaiblie au cours du temps ? Une part de moi le pense, mais un tel argument pourrait aussi être avancé pour les jeux d’horreur en vue à la première personne à la sauce Frictional Games (Amnesia, SOMA). Pourtant, je ne partage pas le même ressenti. Pourquoi ?

C’est une question de temps et de possibilités. Le modèle Resident Evil est né en 1996 et son héritage se perpétue encore jusqu’en 2023. On le connaît donc par cœur. Continue-t-on vraiment à craindre les entraves de l’inventaire, la pénurie de munitions, les dédales qu’on doit parcourir ou les mouvements laborieux ? Si ça pouvait encore être mon cas il y a plusieurs années, depuis, la magie se dissipe peu à peu. L’autre souci, celui des possibilités, c’est que contrairement au survival-horror « moderne », il n’y a pas dix mille façons d’exploiter la formule Resident Evil. La preuve avec des exemples comme Tormented Souls et bientôt des titres tels que Post Trauma ou Hollowbody : elle prend souvent la même forme, d’où cette lassitude, indépendamment de la qualité du scénario. L’effet de surprise ne fonctionne plus et le sentiment d’impuissance tend à disparaître, la faute aux rouages de ce modèle qui finissent par être connus sur le bout des doigts. Cela étant, ce ressenti est-il véritablement justifié ? Pour le savoir, il faut regarder combien de productions de ce genre sortent par an.

Un bref coup d’œil à l’actualité et aux grosses sorties indépendantes laissera penser qu’il n’y en a pas assez et qu’un bilan pareil n’a pas lieu d’être. Mais la scène underground est productive et des jeux d’horreur, on en trouve à la pelle (en particulier sur Steam). Les jeux d’horreur au gameplay étiqueté Resident Evil / Alone in the Dark / Silent Hill ne sont peut-être pas légion, mais ils n’en sont pas moins nombreux. Rien d’anormal, c’est un modèle ô combien simple à décalquer et loin de demander un budget énorme. Je me suis simplement contenté de citer les bons élèves, car les cancres finissent par être vite oubliés, noyés dans des vagues incessantes de survival-horror.

SIGNALIS, un nouvel espoir

SIGNALIS nous propose donc de revivre les premières heures du survival-horror à travers son gameplay old school. Toutefois, cela ne veut pas dire que le soft est incapable de puiser son inspiration dans des productions plus récentes. On constate, entre autres, une mécanique permettant de brûler les ennemis avec un objet spécifique, ce qui les empêche alors de se relever, et ce, à jamais. Cet élément du jeu nous rappelle l’utilisation des allumettes sur les créatures de The Evil Within sorti en 2014. Mais le soft est également capable d’innover à sa façon avec, par exemple, un système de visée singulier qui demande d’être patient même en situation de crise. Un autre aspect frappant de SIGNALIS, c’est sa manie de jongler entre des phases de gameplay en vue à la troisième personne, la plus utilisé, et en vue à la première personne. L’usage de la vue subjective sert ici à étoffer l’histoire et à renforcer son aspect énigmatique. Lors de ces fameux passages, il n’est plus question de combattre des ennemis ou de chercher son chemin : on évolue seulement dans des lieux ordinaires, comme une plage ou un train, tout en essayant de débusquer quelques pièces du puzzle supplémentaires.

Maintenant, j’invite votre regard à se porter sur la radio portative accessible depuis l’inventaire. Elster peut l’utiliser pour capter un message, résoudre des énigmes et même se défendre. Une mécanique inédite pour le moins rafraîchissante, d’autant plus qu’elle est fort bien pensée. Les situations où il faut s’en servir ne sont pas toujours explicites et cela ajoute donc une pointe de difficulté à l’aventure. La découverte de la radio et de ses facultés permet ainsi de désarçonner le joueur, puisqu’il n’est pas habitué à faire face à ce type de gameplay dans un survival-horror « hommage ». Son bruit assourdissant face à un certain monstre crée la surprise, effraie, provoque la perte des repères du joueur. Son usage dans la résolution de puzzles étant inhabituel, on ne prend pas systématiquement le réflexe de l’activer. Tous ces ingrédients réunis – le changement inattendu de position de la caméra, la radio et ses secrets, le fait de brûler un ennemi pour confirmer sa mort – offrent à SIGNALIS une nouvelle saveur. Le gameplay va davantage marquer les esprits et pas seulement le scénario ou le monde dépeint par le jeu.

J’en viens à mon point le plus important. En démarrant SIGNALIS pour la première fois, je ne m’attendais pas à grand-chose côté gameplay. Ma réflexion se résumait grossièrement de la manière suivante : « formule Resident Evil, on connaît, c’est le coup classique, moi, je veux découvrir son univers et dévorer son histoire ». Néanmoins, contre vents et marées, les malheurs d’Elster ont su me prendre de court en apportant dans la balance des petites nouveautés à un modèle validé par tous depuis les années 90. J’irai même plus loin en disant que SIGNALIS est peut-être le meilleur survival-horror « hommage » qu’il m’ait été donné de faire. Il m’a fait comprendre qu’on pouvait encore reprendre une formule réutilisée exagérément et, malgré ça, continuer à surprendre le joueur en la maniant à la perfection tout en l’agrémentant de nouvelles mécaniques et d’une esthétique inspirée.

Ce jeu ne s’arrête pas au copier-coller, il sublime le jeu d’horreur à l’ancienne, celui qui faisait frémir dans les chaumières. Cela paraît anodin, mais bon nombre de jeux d’horreur du même genre ne procèdent pas ainsi. À mes yeux, il reste donc une goutte d’eau dans un océan de productions malheureusement oubliables. Le survival-horror a évidemment encore de beaux jours devant lui et je suis le premier à défendre cette opinion. Néanmoins, honorer le passé a ses limites et l’impression de déjà-vu commence à se faire fortement ressentir à mesure que les années défilent. Il faut peut-être accepter de laisser le passé derrière nous, aussi magnifique soit-il. Ou se mettre à rendre hommage à Forbidden Siren, Clock Tower et Project Zero, car ces licences existent aussi sapristi.

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